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"Ap2E" Circuits courts Table ronde avec Sylvie Mayer, Angélique Delaye et Daniel Vuillon

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Agriculture : les circuits courts ont-ils de l’avenir ?

Table ronde réalisée par Jacqueline Sellem avec :


Sylvie Mayer, coanimatrice de "Ap2E" et coauteure du Guide de l’économie équitable avec Jean Pierre Caldier, responsable du groupe commerce équitable, économie sociale et solidaire du Pcf.


Angélique Delahaye, présidente de la Fédération nationale des producteurs de fruits et légumes clic




Daniel Vuillon, président du centre de ressources et d’essaimage des AMAP. Créamap clic



En dix ans, de 1998 à 2008, 10 000 entreprises de production légumière ont disparu en France, tandis que dans la dernière période, le nombre des AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) a doublé tous les ans, pour arriver à 2 000 aujourd’hui.

Comment expliquez-vous ces évolutions ?

Angélique Delahaye. Le nombre des exploitations a diminué mais la surface cultivée est restée stable. Et, plus marquant, les revenus des producteurs ont baissé. Depuis des années, la Commission de Bruxelles, relayée en France par les pouvoirs publics, de droite et de gauche, pousse à cette concentration pour, nous explique-t-on, contrebalancer la puissance de la filière de commercialisation. Or, celle-ci s’est concentrée encore plus vite, alors que les producteurs sont confrontés au handicap de l’éclatement géographique. Ils ont eu aussi à faire face, sur les volets du coût de la main-d’oeuvre et de l’énergie, à la meilleure compétitivité d’autres producteurs communautaires ou extra communautaires. Ces réalités nouvelles doivent nous amener à revoir les schémas d’exploitation et de distribution des trente dernières années. La profession a commencé à le faire puisque certains ont créé des circuits courts ou des systèmes de vente directe, comme les AMAP. Mais les possibilités sont différentes selon que l’exploitation est dans une zone d’expédition ou de consommation.
Daniel Vuillon. La diminution du nombre des paysans est imposée par le marché et l’omniprésence de la grande distribution. Les ceintures des villes ne sont plus vertes, mais elles continuent à les nourrir avec des marchandises venues de partout. Dans les zones péri urbaines, selon un schéma que l’on trouve dans presque toutes les villes au monde, et particulièrement en France, les paysans ont disparu ou sont en voie de disparition. Près de Toulon, les fermes qui entouraient notre exploitation ont peu à peu été remplacées par des commerces. Nous aurions pu nous délocaliser en réalisant une opération immobilière. Mais pourquoi l’agriculture, activité créatrice d’emplois et de richesses, ne subsisterait-elle pas en zones péri urbaines ? C’est ce que nous essayons de défendre. Nous avons découvert le concept des AMAP aux États-Unis, dans l’État de New York, et nous l’avons initié sur notre exploitation. Nous ne sommes plus seuls à résister. Les familles nourries par cette terre participent à sa défense. Les contrats que nous avons avec elles garantissent la rémunération de notre travail indépendamment des mercuriales (1), ce qui permet de pratiquer une agriculture moins productiviste, plus diversifiée et axée sur la qualité. Notre exploitation n’a plus l’allure d’une usine à salades qu’elle avait lorsque nous travaillions pour la grande distribution. Dans un cas, c’est le marché qui dicte la dimension de l’exploitation et ses productions ; dans l’autre, c’est le lien social très fort qui se crée entre le paysan nourricier et les familles. Je ne porte pas de jugement, ce que je revendique, c’est le droit à l’existence de systèmes alternatifs.
Sylvie Mayer. La première cause de diminution du nombre des paysans est l’insuffisance de leurs revenus. Le rôle dévolu au marché comme l’attitude de la grande distribution y sont pour beaucoup. Je viens d’en faire l’expérience dans une surface moyenne : en pleine période de production, je n’ai pas trouvé un seul fruit ou légume français. Et ce qui était présenté était de mauvaise qualité. Avec les importations, la grande et moyenne distribution organise une forme de dumping. Au moment où l’on devrait réduire l’utilisation du pétrole, il est aberrant que des produits qu’on pourrait trouver sur place fassent des milliers de kilomètres. La disparition des terres agricoles en zones périurbaines est un problème grave qui met en cause notre souveraineté alimentaire. En Ile-de-France, des maraîchers qui prennent leur retraite trouvent aujourd’hui davantage d’intérêt à vendre à un céréalier ou à faire une opération immobilière qu’à permettre à un jeune exploitant de poursuivre leur activité. Pourtant, ce n’est pas de céréales supplémentaires que la région a besoin, mais de fruits et de légumes. Le fait de pouvoir en produire partout est un atout à préserver. Et l’éclatement territorial de la production maraichère n’est un handicap que dans le cadre d’une prédominance de la grande distribution.

Percevez-vous des évolutions de la demande des consommateurs ?
Angélique Delahaye. Le résultat des européennes témoigne d’une préoccupation pour les questions environnementales. Aujourd’hui, le consommateur se veut citoyen. Pourtant, dans l’acte d’achat, ce n’est pas aussi simple. Il accepte de payer plus ou moins, selon le lieu où il achète. La tendance est à consommer plus local, plus naturel, voire biologique. Or, 60 % des fruits et légumes bio consommés par les Français proviennent de l’importation. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est l’idée, chez certains responsables politiques, que la souveraineté alimentaire peut être une monnaie d’échange géopolitique, qu’elle peut être déléguée, quitte à piller les ressources naturelles d’autres pays. Par exemple, beaucoup considèrent aujourd’hui que la France n’a pas à produire de tomates en chauffant des serres. On oublie que la tomate hors sol utilise quatre fois moins d’eau, qu’elle recycle les entrants, donc ne pollue pas. Et ce volet environnemental serait encore meilleur si le gouvernement avait, comme en Hollande, développé la cogénération (2) qui permet de chauffer les serres et d’engraisser les plantes avec le CO2 produit, tout en fabriquant de l’électricité. Au lieu de cela, on parle de construire de nouvelles centrales nucléaires ou thermiques, d’enfouir le CO2, et on fait pousser des tomates au Maroc où le manque d’eau est cruel. Au nom d’un pseudo-développement durable, on fait n’importe quoi alors que le bon sens voudrait que l’on produise au plus près des consommateurs en utilisant des méthodes respectueuses de l’environnement.
L’avenir du secteur des fruits et légumes n’est pas de se passer de la grande distribution, qui réalise 80 % des ventes pour certains produits, mais il dépend de sa capacité à diversifier ses circuits pour que le consommateur trouve ce qui lui convient le mieux.
Daniel Vuillon. S’il n’y avait pas une demande des consommateurs, les AMAP ne se développeraient pas. Le partenariat entre une ferme et des familles offre une sécurité au producteur en lui permettant de sortir de la jungle du marché. Il répond aussi à la prise de conscience grandissante de l’insécurité alimentaire, apparue il y a dix ans avec la vache folle. Mais nous ne faisons que du raccommodage, à partir d’une situation laissée à la dérive par les responsables politiques. En 1980, la grande distribution ne représentait que 5 % des parts de marché. Il aurait fallu l’empêcher de dépasser les 50 %. Or, entre 1980 et 2000, elle a été encouragée au point de devenir dominante et de faire disparaitre les petits paysans, les petits commerçants, les petits abattoirs, nombre de structures qui fournissaient des services, un lien, une compétence. On mesure aujourd’hui les conséquences, en termes de liberté et de qualité, aussi bien pour le producteur que pour le consommateur. Les étalages composés de concombres, aubergines, courgettes du 1er janvier au 31 décembre sont d’une monotonie épouvantable. Selon le CRÉDOC, en 2004, 20 % des Français souhaitaient, s’ils en avaient la possibilité, acheter ailleurs que dans les grandes surfaces. En 2007, cette proportion est passée à 37 %. C’est la démonstration que le potentiel existe pour lancer des initiatives alternatives. D’autant que l’anarchie du marché a des coûts indirects. Notamment un, dont on ne parle absolument pas, qui est celui de la santé des agriculteurs eux-mêmes. Quant au bio, s’il ne se développe pas en France alors que la demande augmente, c’est parce qu’on a délocalisé l’agriculture bio. On pille le Maroc et le Sénégal pour avoir du bio pas cher dans les discounts français.
Sylvie Mayer. Les responsabilités politiques de cette situation sont évidentes. Dans les années 1970, le maire communiste de la ville où j’habitais a refusé l’installation de grandes surfaces. Elles se sont installées dans les trois communes voisines, qui ont récupéré la taxe professionnelle. Et aujourd’hui, une commission présidée par Jacques Attali préconise, oh, surprise ! de multiplier les grandes surfaces pour, soi-disant, faire baisser les prix en augmentant la concurrence. Cette idée s’est retrouvée dans la loi de modernisation de l’économie, qui permet d’ouvrir des surfaces moyennes sans les autorisations exigées auparavant. Or, cette question du juste prix est très importante. Quand on ne paye pas le travail, on fait mourir des exploitations, disparaître l’emploi. Et les coûts sociaux sont terribles. Les associations de consommateurs ont tort de réclamer des prix toujours plus bas. Il faut plutôt se battre pour l’augmentation du pouvoir d’achat et la transparence des marges. C’est ce que nous avons fait avec des campagnes de relevés de prix dans les grandes surfaces. Cette action de militantes et militants communistes a amené le député communiste André Chassaigne à faire voter, par l’Assemblée nationale, un amendement sur le double étiquetage, que le Sénat et le gouvernement se sont empressés de balayer. Favoriser les circuits courts en supprimant les intermédiaires serait un moyen de pression bien plus efficace pour faire baisser les prix. Nous constatons dans de nombreux débats que ces arguments reçoivent un écho très favorable chez nos concitoyens. Reste à donner les moyens aux agriculteurs d’aller dans cette voie. Cela passe par le paiement du bio au vrai prix, avec un cahier des charges identique pour tous les pays d’Europe, par la facilité d’accès des jeunes à la terre et l’encouragement du travail salarié dans l’agriculture. Sur ce dernier point, la proposition du PCF de moduler les cotisations sociales en fonction des créations d’emplois est particulièrement bienvenue. Le maraîchage et l’arboriculture créent beaucoup d’emplois. Accompagnés de formations, ces emplois peuvent être de qualité.

Vous évoquiez les questions de santé… Les agriculteurs n’ont-ils pas une vie plus saine que le reste de la population ?
Daniel Vuillon. Une étude vient de montrer que les maladies nerveuses sont deux fois plus nombreuses dans la population agricole. Mais cela fait l’objet d’une sorte d’omerta. Mon frère, qui était producteur de fleurs coupées sous serres, est atteint de la maladie de Parkinson. C’est incontestablement lié à son activité professionnelle. Toutes les recherches mettent en cause les produits utilisés. Il faut savoir que, pour être vendues, les fleurs doivent être parfaites. Il faut donc éviter tous les champignons et parasites, intervenir très souvent avec un cocktail de molécules dans lesquelles baignent aussi ceux qui les produisent. Et les fleurs n’étant pas consommables, les autorisations et les délais de traitement ne sont pas aussi sévères que pour les légumes. Résultat, la situation de ceux qui travaillent est bien pire que dans le maraichage. Mon frère avait cinquante-deux ans quand la maladie a été diagnostiquée. Elle a entrainé la faillite de son entreprise. Beaucoup de ses collègues serristes sont dans la même situation. J’attends de la Mutualité sociale agricole qu’elle donne des statistiques sur la santé des agriculteurs. Cela risque de mettre en cause la politique agricole, les chambres d’agriculture et tous ceux qui ont autorisé et encouragé l’utilisation intensive de produits phytosanitaires. La course aux prix bon marché a un cout pour l’environnement et pour la santé des paysans, qui ont fait ce qu’on leur a dit de faire.
Angélique Delahaye. C’est très vrai. Mais, depuis une dizaine d’années, on constate une prise de conscience. Comme administratrice de ma caisse locale de la MSA, j’ai fait partie de la commission de prévention des risques. En voyant les chiffres, nous avons décidé de réagir, non pas en nous faisant peur, mais en tirant les enseignements du manque de prudence des générations précédentes. Dans mon exploitation, nous limitons au minimum l’utilisation des produits phytosanitaires et nous nous protégeons beaucoup pour traiter. Il faut en effet étudier les statistiques sur la santé des paysans pour préparer un avenir différent. Et il faut être conscient que nous sommes confrontés à une difficulté du côté de l’opinion publique, qui perçoit aujourd’hui un risque pour le consommateur alors que, selon la majorité des études, ce risque est nul.
Sylvie Mayer. Il n’est pas nul. Il n’existe peut-être pas au niveau de l’ingestion des aliments, mais il est bien réel pour les populations voisines des exploitations où l’on utilise des produits phytosanitaires. Des médecins du sud de l’Essonne estiment que dans les périodes qui suivent le traitement des cultures, les enfants présentent davantage d’allergies.
Angélique Delahaye. Il s’agit de grandes surfaces céréalières sans commune mesure avec les productions légumières et fruitières. Mais la profession doit s’emparer de la question. Nous avons tous dans nos familles un parent agriculteur qui présente des troubles nerveux ou des problèmes de stérilité. Il y a deux ans, notre fédération a jeté les bases, sous l’égide de l’ancien ministre de l’Agriculture, Michel Barnier, du projet Picleg (production intégrée en culture légumière). Il s’agit d’un groupement d’intérêt scientifique qui travaille avec l’INRA sur un programme d’alternatives à l’utilisation des produits phytosanitaires. Nous sommes donc très conscients du problème et nous devons aussi veiller à ne pas créer, par une communication imprudente, une psychose qui ferait abandonner la consommation des fruits et légumes. Mais il y a un autre aspect dont on parle moins encore, c’est le taux de suicide des agriculteurs et la consommation d’antidépresseurs, beaucoup plus importante que dans le reste de la population. Le lien avec la tension économique dans les exploitations est évident.

Quels sont les obstacles au développement de circuits alternatifs ?
Sylvie Mayer. Le premier obstacle est le sacro-saint prix du marché et la spéculation sur les produits de l’agriculture. Un groupe de travail a établi avec le ministère de l’Agriculture un plan en 14 points pour le développement des circuits courts, mais sa mise en oeuvre nécessiterait de véritables moyens. Je soutiens, pour ma part, une idée chère à Marc Dufumier (3). Plutôt que de donner les subventions aux gros céréaliers, pourquoi ne pas imaginer d’aider les structures publiques qui mettent en oeuvre des politiques alimentaires de qualité dans les hôpitaux, les écoles, les maisons de retraite ? Et pourquoi ne pas étendre cette action aux comités d’entreprise qui ont la charge de millions de repas ? Ce serait la meilleure façon d’assurer des débouchés au juste prix à des produits de qualité, voire au bio.
Sur un autre plan, la lutte pour le maintien des terres agricoles en zones périurbaines implique des mesures législatives. Des élus peuvent aussi, à leur niveau, prendre des initiatives. Je pense à l’expérience de Solid’Arles, dont a parlé l’Humanité (4). Une ancienne supérette de quartier, à Arles, a été transformée en magasin approvisionné en fruits, légumes, fromages, miel, par des producteurs voisins. L’adhésion à l’association qui gère le point de vente coûte 1 euro et c’est le centre communal d’action sociale de la mairie qui établit les tarifs en fonction des revenus. Aujourd’hui, 3 000 familles se fournissent en produits frais à Solid’Arles.
Daniel Vuillon. La première des solidarités doit aller vers ceux qui nourrissent les autres et n’arrivent pas à nourrir leur famille. Dans tous les pays, les paysans sont parmi les plus pauvres. En France, 40 % ne gagnent pas le smic. Nous vivons une crise alimentaire beaucoup plus grave que la crise financière. Il y a dix ans, on pensait éradiquer la faim en une décennie. Or, la situation empire chaque année. Nous sommes incapables d’assurer la nourriture des six à sept milliards de personnes qui sont sur la planète. Comment pourrons-nous, en restant dans les mêmes schémas, assurer celle des neuf milliards que nous serons d’ici trente ou quarante ans ? Il faut arrêter de préserver notre pouvoir d’achat en pillant les ressources de ceux qui sont encore moins riches. Nous devons être capables de satisfaire nos besoins vitaux à proximité. ProNatura, la deuxième société de distribution de produits bio en Europe, exploite 5 000 hectares des meilleures terres du Sénégal. Elle utilise l’eau et la force de travail des Sénégalais pour produire du bio pas cher, revendu dans les magasins discount. Pas 1 kilogramme n’est destiné à la population locale. Pourtant, à Dakar, des gens ont faim.
Sylvie Mayer. D’un côté, nous pillons certains pays ; de l’autre, en faisant du dumping, nous leur imposons nos produits subventionnés. Ne vaudrait-il pas mieux subventionner nos cantines, plutôt que nos exportations ? Ne vaudrait-il pas mieux que les paysans d’ici vendent au juste prix chez nous et n’aillent pas faire une concurrence déloyale à ceux du Sénégal, du Burkina ou d’ailleurs ?
Daniel Vuillon. Je suis d’accord. L’agriculteur retrouvera sa dignité lorsqu’il vendra le fruit de son travail au juste prix, qu’il ne sera plus assisté. Il faut démystifier cette question de prix et remonter jusqu’au problème foncier. Pour assurer l’autonomie alimentaire d’une population, il faut garder suffisamment de surface agricole. Aujourd’hui, avant d’arriver dans notre assiette, les aliments font en moyenne 1 500 km en France, 2 400 km aux États-Unis. Si les transports s’arrêtent, c’est la famine à Paris en quatre jours. Il faut imposer aux collectivités locales, à tous les niveaux, de garder des espaces agricoles suffisants pour nourrir leur population quoi qu’il arrive. Ils seraient classés « terres nourricières pour l’éternité ». Un paysan ne pourrait vendre qu’à un autre paysan, hors de toute spéculation. Ce n’est pas utopique, c’est ce qu’ont fait la Suisse et le Japon en 1945 ! Et cette décision y est toujours respectée, malgré la pression foncière et les changements politiques.
Angélique Delahaye. Cela implique beaucoup de courage politique…
Daniel Vuillon. En France, en 2008, les terres agricoles sont devenues une valeur refuge pour les spéculateurs, les prix ont augmenté de 30 %. Résultat : les jeunes n’y ont plus accès.
Angélique Delahaye. Quand je vois que les responsables politiques qui prônent le bio dans les collectivités n’ont pas le courage d’exiger qu’il soit produit localement, comment imaginer qu’ils acceptent de geler des terres ?
Si les populations elles-mêmes le réclament…
Angélique Delahaye. Il faudrait sensibiliser nos concitoyens en commençant par leur réapprendre à bien se nourrir, à prendre le temps d’écosser des petits pois avec les enfants. Certains ne savent même plus éplucher 1 kg d’asperges ! Et un légume, ça s’accommode. Depuis trop longtemps les grands chefs ne proposent les légumes qu’en accompagnement de la viande. Dans les restaurants, les fruits frais ont disparu. Et on vend de la soupe en briques, alors qu’un litre de soupe maison revient à moins de 50 centimes, contre 5 euros au supermarché. Pour 2 à 3 euros, on a 1 kg de fruits ou de légumes. Quel est, dans l’univers alimentaire, le produit qui est moins cher ? Les Français font des choix de dépenses sans penser au coût pour la santé.
Sylvie Mayer. Le problème va au-delà de la consommation individuelle. Dans les cantines scolaires comme dans les restaurants d’entreprise, il n’existe plus de lieu où éplucher les légumes. Or, selon les normes d’hygiène, cela ne peut se faire au même endroit que la cuisson. Les producteurs ne doivent-ils pas imaginer des petites unités de transformation - pourquoi pas des coopératives - qui permettraient de livrer directement des légumes frais épluchés ?
Vous avancez plusieurs propositions. Quelles initiatives pourraient être prises dès maintenant ?
Sylvie Mayer. Il faut créer des lieux de rencontre, notamment dans les collectivités territoriales, entre les consommateurs et les producteurs. Et, sans attendre que quelqu’un mette en place le plan de circuit court, le prendre comme argument pour réintégrer les producteurs locaux dans les appels d’offres dont ils ont été exclus par le système du moins-disant.
Angélique Delahaye. Les agriculteurs doivent ouvrir leurs exploitations. À l’occasion de la semaine Fraîch’attitude, j’ai mesuré à quel point nos concitoyens sont demandeurs d’informations. Ils n’imaginent pas la qualité de notre travail. J’ai accueilli des écoles avec des enfants enthousiastes de parcourir les parcelles, de voir comment on cueillait une salade. On a lavé, préparé, goûté les légumes et j’ai donné des petits trucs de cuisine facile pour les parents. Si on accommode les légumes, il n’y a pas de raison que les enfants ne les aiment pas.
Daniel Vuillon. Il faudrait en effet revoir le système des appels d’offres qui impose le moins-disant et un même fournisseur pour toute la gamme des fruits et légumes, des oranges aux concombres en passant par les salades. Pour sortir de ce système qui nous écrase, il ne faut pas avoir peur d’innover et de corriger si on se trompe. En Italie, en 2005, un ministre de l’Éducation nationale a décidé que toutes les cantines seraient bio et a changé les cahiers des charges pour donner la priorité à la proximité. Cela a créé, pendant un temps, une panique générale, mais le bio est passé de 10 à 20 % dans l’agriculture, et le pays est aujourd’hui leader en Europe, alors que la France est 24e sur 27 ! Les collectivités ont un rôle à jouer, et les parents doivent se réapproprier la cantine de leurs enfants, sans avoir peur d’ouvrir le débat sur son mode de fonctionnement. Si élus et citoyens agissent ensemble, il n’y a pas grand monde qui pourra résister. Pourquoi aller chercher les salades très loin, alors qu’à 500 mètres de la cantine elles peuvent être cueillies le matin et servies à midi ? Et tous les enfants, quels que soient les revenus de leurs parents, doivent avoir accès, au moins à la cantine, à des produits de grande qualité.

L’agriculture pourrait-elle créer des emplois ?
Daniel Vuillon. C’est dans les circuits courts et les petites exploitations qu’il y a le plus d’emplois potentiels. Les AMAP créent un emploi permanent pour 40 familles adhérentes. Dans une unité de base, 80 familles font vivre un couple sur deux hectares. Sur ma ferme, il y a en ce moment cinq salariés dont la moyenne d’âge est de vingt-trois ans. Ils apprennent le métier pour s’installer. L’an dernier, il y avait neuf stagiaires. La dynamique fonctionne.
Angélique Delahaye. En matière d’emploi, nous sommes un des derniers et rares métiers qui ait la capacité de reconstruire des personnalités. Ce rôle d’insertion des publics en difficulté n’est pas reconnu. J’ai embauché deux jeunes venus chez moi à reculons parce que les métiers du maraîchage ont une image pitoyable. La plus jolie récompense que j’ai eue, c’est qu’ils m’ont dit, au bout de quelque temps : « Si on avait su, on serait venus plus tôt. » Ils ont trouvé un lien social, une raison d’être au travail et, surtout, quelque chose qui a été perdu dans d’autres secteurs économiques, la valeur du travail, qui redonne une dignité humaine.

(1) Les prix des denrées établis par le marché.
(2) À partir de gaz naturel, de fioul, de biomasse, etc., production en même temps et dans la même installation d’énergie thermique (chaleur) et d’énergie mécanique, transformée en énergie électrique.
(3) Professeur à l’Institut national de recherche agronomique, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet.
(4) Du 25 septembre 2008.

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... Sylvie Mayer, coauteure du Guide de l'économie équitable, responsable
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